Un an et demi après la Journé Pluridisciplinaire 2018 que le Dr. Annick Linden, Professeur au service Faune sauvage de la FMV de l’ULiège, avait consacré aux épidémies véhiculées par le grand gibier, il nous a semblé opportun de scruter le chemin parcouru depuis lors par la peste porcine africaine et par les experts qui tentent de la dominer.

Veterinaria : Bonjour Professeur, chère Consoeur, l’air est-il toujours aussi salubre en Biélorussie, au point qu’elle échappe à la PPA qui a envahi tous les pays limitrophes ?

Dr. Annick Linden : la Biélorussie a récemment transmis des informations sur ses derniers foyers. Les autorités ont présenté leur programme de surveillance et de lutte et le pays a drastiquement diminué ses populations de sangliers.

Veterinaria : L’exemple de la Tchéquie, qui a apparemment réussi à enrayer l’épidémie sur son territoire, a fait miroiter l’espoir d’une lutte victorieuse aux yeux des états membres de l’UE. Qu’en est-il à présent ?

Dr. Annick Linden : La Tchéquie est officiellement indemne de peste porcine africaine depuis mars 2019. Les services vétérinaires maintiennent les opérations de surveillance active et passive (analyse systématique des sangliers trouvés morts) et aucune carcasse n’a été détectée positive depuis le dernier cas viropositif le 15 avril 2018. Les résultats présentés par les collègues tchèques lors du dernier congrès GF-TADs à Sofia (septembre 2019) confirment que la situation est sous contrôle. Il semble donc que les mesures rapidement mises en œuvre dans le district de Zlin (notamment clôture de la zone infectée, éradication totale des sangliers dans cette zone, chasse intensive en périphérie) ont été efficaces.

Veterinaria : en 2018, vous avez notamment insisté sur l’épidémiologie particulière du génotype qui sévit en UE (progression lente, de 1 à 2 km par mois dans les pays baltes, taux de mortalité faible mais létalité élevée, virus très résistant dans l’environnement surtout par temps froid et humide…). A-t-on constaté une situation particulière en Gaume ?

Dr. Annick Linden : La Tchéquie a dû faire face à un foyer dans une zone relativement urbanisée et agricole avec des zones boisées très fragmentées. Les premiers cas ont été découverts en milieu urbain, à 3 km d’un hôpital. La situation est très différente en Gaume, les premiers cas ont été détectés au sein d’un grand massif forestier, ce qui a retardé leur découverte. La zone initiale infectée en Gaume (125 km2 à Buzenol sur base de la localisation des premières carcasses positives retrouvées jusqu’au 12 octobre 2018) est 2 X plus importante que celle de Zlin (57 km2). Par ailleurs, dans certaines zones en Gaume, la vitesse de propagation du virus est plus élevée que les 1 à 2 km par mois décrits dans les pays baltes.

Veterinaria : vous citiez en 2018 l’importance des sangliers et de l’environnement dans la problématique PPA. Est-ce toujours bien le cas ?

Dr. Annick Linden : Le cycle « sanglier-habitat » décrit par Chenais et al. en 2018 joue un rôle majeur dans l’épidémiologie de la peste porcine africaine dans nos contrées. La survie du virus dans les carcasses (plusieurs mois en saison froide) est une source continue de contamination dans la zone infectée. Pour casser ce cycle, il est indispensable de rechercher activement puis extraire de la forêt tous les cadavres potentiellement infectés en respectant de strictes consignes de biosécurité sur le terrain. Ces activités sont très chronophages, elles sont organisées sans discontinuité depuis le début de la crise par les équipes du SPW (DEMNA et DNF) et la Protection Civile.

Veterinaria : a-t-on progressé dans la recherche de l’origine du premier foyer ?

Dr. Annick Linden : L’enquête judiciaire est toujours en cours. Aucune information n’a été diffusée depuis le début de l’investigation

Veterinaria : les clôtures dressées à grands frais par la Région Wallonne ont-elles été bénéfiques ?

Dr. Annick Linden : Jusqu’à présent, plus de 300 km de clôtures ont été installés autour et dans la zone infectée et ce, en continuité avec les clôtures françaises et luxembourgeoises. Ces clôtures ne ceinturent pas la zone infectée totalement (notamment à hauteur des zones urbaines) et elles ne sont évidemment pas hermétiques à 100 %. Néanmoins, elles freinent fortement les mouvements des sangliers. Si quelques passages accidentels d’animaux infectés ont malheureusement dû être constatés, la carte des cas positifs/négatifs montre clairement l’efficacité de certaines clôtures, notamment à l’ouest (de Valansart à Meix-devant-Virton). Par ailleurs, ces clôtures ont permis de créer des couloirs dans lesquels les opérations de destruction peuvent être menées plus efficacement. Cette stratégie de confinement joue pleinement son rôle dans la combinaison d’outils qui sont mis en œuvre dans le plan de lutte PPA.

Veterinaria : diverses autres mesures ont été préconisées par les uns, décriées par les autres : nourrissage ou non dans les foyers, piégeage, éradication des sangliers, abattage de tous les porcins dans des périmètres définis, … lesquelles d’entre elles se sont-elles révélées utiles ? lesquelles va-t-on poursuivre, voire intensifier ?

Dr. Annick Linden :

  1.  La Belgique a présenté un plan de lutte intitulé « Plan d’éradication de la peste porcine africaine dans les populations de porcs sauvages de certaines zones de Belgique » qui a été approuvé par la Commission européenne en juin 2019 (Décision d’exécution 2019/930/UE). Ce plan d’éradication comprend une combinaison d’outils : mise en place d’un zonage européen conforme à la Décision d’exécution 2014/709/UE. Il comprend une zone II [infectée] et une zone I [non infectée, en périphérie de la zone II et sous haute surveillance]. Ce zonage est modifié en fonction de la localisation de nouveaux cas positifs (Annexe à la Décision sus-mentionnée). Dans les zones II et I, des mesures sont imposées, à la fois pour les suidés sauvages et domestiques conformément à la législation européenne ;
  2. parallèlement au zonage européen, 3 zones opérationnelles ont été instaurées au niveau régional afin de faciliter la gestion de l’épidémie. Le nourrissage y est interdit. Ce zonage comprend une zone infectée entourée de 2 zones concentriques (une zone d’observation renforcée puis une zone de vigilance) dans lesquelles le risque de détecter des animaux viropositifs y est décroissant. Les mesures de gestion et de biosécurité sont adaptées en conséquence. L’ensemble des 3 zones opérationnelles (ou des 2 zones européennes) couvre une superficie de 1106 km2 ;
  3. construction et entretien de clôtures qui permettent, comme indiqué plus haut, de ralentir la progression de l’épidémie et qui facilitent les mesures de destruction ;
  4. recherche active de carcasses et leur évacuation après analyse d’échantillons ciblés. Ces opérations sont indispensables, elles permettent de délimiter la zone infectée, de se situer par rapport au pic épidémique et enfin, de diminuer la charge virale dans l’environnement ;
  5. mise en œuvre des mesures de dépopulation (piégeages, tirs de nuit sur points d’appâtage, chasses à l’affût et chasses en battue avec ou sans chien en fonction des zones). En zone infectée, certaines mesures sont favorisées (tirs de nuit), d’autres interdites (battues) pour éviter de disperser accidentellement les compagnies. L’Arrêté du Gouvernement wallon de juin 2019 impose une destruction totale des populations de sangliers dans les 3 zones opérationnelles.

Veterinaria : comment évoluent les populations de sangliers dans notre pays et à l’étranger ? les chasseurs et les services compétents jouent-ils leurs rôles respectifs avec succès ?

Dr. Annick Linden : En Belgique, comme dans de nombreux pays européens, les densités de sangliers ont fortement augmenté au cours des 30 dernières années. La diminution du nombre de chasseurs, l’évolution des pratiques de chasse, la reforestation et la disponibilité accrue de nourriture sont les principaux facteurs cités par J. Tack (rapport 2018) qui favorisent la croissance des populations de sangliers. Par ailleurs, J. Tack insiste également sur le changement climatique, avec des températures hivernales et printanières plus douces qui influencent positivement la reproduction et la survie des marcassins. Selon ce rapport, il faut, notamment, recueillir des données objectives sur l’évolution des populations au niveau européen mais également changer les pratiques de chasse afin de garder sous contrôle les populations de sangliers.

Veterinaria: toujours pas d’espoir de vaccin à l’horizon ?

Dr. Annick Linden : Dans certains pays d’Europe, ce sont les campagnes de vaccination orale qui ont permis d’éradiquer des maladies comme la rage ou la peste porcine classique au sein des populations sauvages. En ce qui concerne la peste porcine africaine, et vu l’enjeu économique au niveau mondial, plusieurs laboratoires renommés travaillent actuellement sur le sujet. En 2019, des scientifiques espagnols ont publié leurs premiers essais avec un candidat-vaccin administrable per os à des sangliers. Les résultats ne sont malheureusement pas concluants. Un laboratoire américain a également publié ses premiers essais. Outre enrayer la contagion, le vaccin idéal devra obligatoirement être administré per os, faire preuve d’innocuité, ne pas se disséminer dans la nature et enfin, être génétiquement stable. Le défi scientifique est beaucoup plus difficile que pour d’autres maladies animales parce que le virus de la peste porcine africaine cible le système immunitaire lui-même et qu’il est génétiquement plus variable qu’attendu par rapport à d’autres virus à ADN.

Veterinaria: comment voyez-vous l’avenir ? la PPA est-elle éradicable ou ne pourra-t-on que limiter son impact sur les élevages domestiques ?

Dr. Annick Linden : La stratégie actuellement développée a pour objectif ultime d’éradiquer la maladie de notre pays.
Au niveau fédéral, les mesures préventives visent à protéger les élevages porcins aussi bien au sud qu’au nord du pays. L’AFSCA a engagé du personnel en renfort afin d’intensifier les plans de surveillance et des mesures de biosécurité drastiques ont été imposées dans les élevages. Notre statut « indemne de PPA » est d’ailleurs maintenu pour les suidés domestiques.
Au niveau régional, les mesures de lutte visent actuellement

  1. à éviter l’endémicité en zone infectée et
  2. à empêcher la dissémination du virus vers d’autres populations de sangliers en dehors de la zone infectée.
    La création d’un « vide sanitaire » en périphérie de la zone infectée est une mesure difficile mais indispensable pour éviter l’expansion de la maladie. Nos voisins français et luxembourgeois l’ont bien compris puisqu’ils mettent tout en œuvre pour créer cette « zone blanche » en région frontalière.

En conclusion, la combinaison d’outils développés jusqu’à présent a permis de maintenir l’épidémie sous contrôle (voir cartes) mais le combat n’est pas terminé. Les autorités régionales et fédérales sont décidées à maintenir la pression auprès de tous les acteurs, y compris les chasseurs, afin que les mesures de lutte soient maintenues en 2020. Une éradication à terme est à ce prix.

C’est l’occasion ici de souligner l’excellente et efficace collaboration entre l’AFSCA et le SPW et de remercier toutes les équipes qui œuvrent sur le terrain depuis le début de la crise.

Un merci tout particulier à la « VT team », soit les membres du service faune sauvage de la Faculté de Médecine vétérinaire mais aussi les consœurs et confrères qui participent aux mesures de surveillance passive en zone PPA et dans toute la Wallonie.

Interview : Dr. Alain Schonbrodt

 

Où en est-on après 1 an de peste porcine dans les forêts gaumaises ? C’est le 10 septembre 2018 que démarrait la crise. Très rapidement, la Wallonie, chapeautée par l’Union européenne et l’AFSCA, mettait en place un double territoire interdit de circulation de près de 60.000 ha. Cette zone est aujourd’hui portée à 110.000 ha et a été modifiée tout au long de l’année en fonction de l’évolution de la maladie.
Les éleveurs porcins ont été contraints d’abattre 4000 porcs. Ils ont été dédommagés mais ne peuvent toujours pas reprendre leur activité. Les propriétaires et exploitants forestiers sont interdits de circulation et de travail, excepté pour gérer la deuxième catastrophe : les scolytes. Et le secteur du tourisme et des loisirs est toujours largement impacté vu l’interdiction de circuler en forêt.
Fin août 2019, sur 3.702 sangliers analysés (cadavres récupérés et animaux abattus), 827 étaient positifs. La bonne nouvelle c’est que depuis mars le nombre de cas positifs est en baisse pour arriver à huit en juin, deux en juillet et un seul en août. De là à affirmer qu’on arrive en bout de crise, aucun spécialiste ne l’affirme. Une des craintes restantes est que le virus n’évolue en une souche moins virulente, laissant le temps aux sangliers de se disperser plus loin avant de mourir (alors qu’aujourd’hui, la mort est très rapide).
Enfin, du côté de l’enquête judiciaire, c’est le silence complet.

Bodeux J.-L. (2019). Un an de peste porcine en Lorraine, une vraie catastrophe. Le Soir, 10/10/19